Le dossier minier de Falémé, dans le sud-est du Sénégal (Tambacounda), résonne encore comme un cas emblématique des défis liés à la coopération entre États africains et multinationales extractives. Signé en 2007, le contrat entre l’État sénégalais et ArcelorMittal, géant mondial de l’acier, ambitionnait de transformer la région en un pôle majeur de production de minerai de fer. Aujourd’hui, le projet est synonyme de rupture, de litige et d’un douloureux bilan.
Un projet grandiose avorté
Au cœur de l’accord, une promesse : exploiter pendant 25 ans les richesses du fer de Falémé, avec une production attendue de 25 millions de tonnes par an dès 2011. Pour cela, ArcelorMittal devait investir 2,2 milliards de dollars, bâtir une voie ferrée de 750 km reliant les mines à un port minéralier spécifiquement conçu à Bargny-Sendou, près de Dakar, et potentiellement ériger une aciérie sur place. À l’horizon, quelque 20 000 emplois auraient dû voir le jour, dynamisant une région jusque-là économiquement marginalisée.
Les projections étaient prometteuses, aussi bien pour l’économie sénégalaise que pour le groupe industriel. Le contrat tablait sur un apport annuel au budget de l’État évalué à 114 millions d’euros grâce aux redevances. Pourtant, très vite, le rêve s’est effondré.
Un engagement non tenu par ArcelorMittal
À partir de 2009, ArcelorMittal suspend ses investissements et le développement du projet. Le groupe justifie sa décision par la détérioration de la conjoncture économique mondiale, notamment la crise financière qui a plombé la demande en acier en Europe, et par une qualité du gisement moins favorable que prévue. Ces arguments, bien que partiellement compréhensibles, n’ont pas convaincu le Sénégal.
L’État du Sénégal avait saisi la Cour d’arbitrage internationale de Paris pour contester la suspension, invoquant le non-respect d’engagements contractuels essentiels. La justice arbitrale, attentive à la dimension juridico-technique du litige, a reconnu en 2013 que les manquements d’ArcelorMittal étaient suffisamment graves pour permettre la résiliation du contrat, déjà préparée par Dakar.
Un arbitrage favorable au Sénégal, mais à quel prix ?
La rupture de ce partenariat, spectaculaire par son ampleur comme par sa médiatisation, a permis au Sénégal de récupérer les droits d’exploitation. Le pays a ensuite pu envisager de relancer le projet avec un partenaire mieux disposé. Parallèlement, un accord à l’amiable a été trouvé en 2014, avec un dédommagement de plus de 150 millions de dollars versé par ArcelorMittal, ainsi que la restitution des études techniques réalisées.
Ce montant, certes conséquent, reste inférieur au coût initial du projet, témoignant que cette affaire a laissé des traces financières, industrielles et politiques lourdes.
Les leçons d’un différend
L’affaire ArcelorMittal-Sénégal illustre combien les contrats miniers dans les pays émergents exigent un équilibre délicat entre ambition économique et réalisme opérationnel. L’exigence de respect scrupuleux des engagements, notamment en matière d’investissement et de calendrier, constitue une condition sine qua non pour la pérennité des projets.
En outre, le contentieux démontre que les fluctuations économiques mondiales, bien qu’influentes, ne peuvent à elles seules exonérer les multinationales de leurs responsabilités contractuelles. Le refus d’ArcelorMittal d’exécuter pleinement sa part, considéré comme un manquement grave, montre aussi les limites du modèle actuel du partenariat public-privé dans des secteurs stratégiques.
Pour le Sénégal, cette expérience a été amère, mais aussi formatrice : elle a renforcé sa volonté de contrôler plus fermement ses ressources naturelles, et enrichi son expertise juridique et technique dans les négociations futures.
À quand la relance ?
Depuis la résiliation, Dakar a poursuivi ses efforts pour trouver un nouvel opérateur capable de concrétiser le potentiel de Falémé. La réussite de ce dossier reste capitale pour le développement économique nord-sud du pays, la diversification de ses exportations et la création d’emplois dignes.
L’histoire rappelle cependant que la montagne minière ne se conquiert pas sans rigueur, ni sans relations équilibrées entre États et investisseurs. La saga ArcelorMittal-Sénégal est un cas d’école où les promesses n’ont pas résisté aux aléas du marché ni à la complexité locale.