La Martiniquaise Agnès Brezephin est sortie du lot des 58 artistes visuels de l’exposition internationale de la 15e Biennale de l’Art africain contemporain de Dakar. Elle a reçu le Grand prix Léopold Sédar Senghor doté de 20 millions de FCfa.
L’ouverture officielle de la 15e Biennale de l’Art africain contemporain a été rythmée, jeudi, par la remise des prix. Cette année, le jury, présidé par la Congolaise Michèle Magema, a attribué le Grand prix Léopold Sédar Senghor à l’artiste martiniquaise Agnès Brezephin pour son œuvre “Fil(s) de soi(e)”, une installation qui, dès le titre, invite le spectateur à un dialogue subtil, presque à une mise en garde sur ce qu’il s’apprête à découvrir ou à ressentir. L’œuvre se déploie en une installation saisissante où se mêlent des matériaux variés, du minéral au végétal, et où des insectes vivants ou sculptés semblent habiter l’espace, symboles d’un drame profondément enfoui. Les insectes, dont le nom même est une anagramme d’ «inceste», incarnent le sujet douloureux de l’œuvre, abordé avec une pudeur et une intensité rarement égalées.
Chaque insecte miniature, avec sa singularité et son aspect vulnérable, devient une figure expressive et essentielle de la composition par laquelle l’artiste cherche à traduire l’indicible au-delà des mots. Ces créatures discrètes et furtives sont autant de métaphores des traumatismes invisibles, des blessures étouffées, incarnant une vie intérieure qui, malgré tout, s’accroche. Au regard du jury, l’installation révèle une maîtrise rare de l’espace, jouant sur des oppositions subtiles : à la fois exigu et infini, vide et densément habité, sombre et traversé de lumières ténues. Cette scène, tout en tension et en contraste, évoque une nature morte qui cherche à renaître, une manière d’être présente, de survivre dans la fragilité. L’œuvre d’Agnès Brezephin est une méditation poignante sur la reconstruction. C’est un espace introspectif où le spectateur est invité non seulement à regarder, mais à ressentir, à être «en elle, avec elle, pour elle». Avec cette installation, Brezephin nous rappelle que l’art peut être un refuge, un miroir, un cri où les silences parlent autant que les formes et où chaque détail, aussi minuscule soit-il, porte en lui l’intensité du vécu. Outre le Grand prix Léopold Sédar Sédar, d’autres distinctions ont été remises. Le prix de la Révélation est décerné à l’artiste ougandais Ronald Odur et celui de la Cedeao, à la Sénégalaise Dior Thiam. Le jury a récompensé un travail d’une grande subtilité, né de l’exploration minutieuse des archives, matériau à la fois fragile et imposant, porteur de mémoire et d’oubli. Le prix de l’Uemoa est revenu à l’artiste togolais Clay Apenouvon.
Cette distinction consacre une œuvre où la sobriété des moyens et le potentiel des matériaux contrastent fortement avec la densité des récits évoqués, issus d’un imaginaire abstrait et pourtant profondément émouvant. Le prix de la Mairie de la Ville de Dakar, récompensant un artiste du pavillon national du Sénégal, est décerné à l’œuvre de l’artiste Manel Ndoye qui se singularise par son ampleur et par la force de son intégration dans l’espace. Cette œuvre, intitulée «Portée culturelle», réinvente le langage de la tapisserie traditionnelle sénégalaise, non plus accrochée au mur, mais suspendue, flottant au cœur de la pièce et invitant le spectateur à une immersion totale. Le prix de la Sculpture, offert par Scac Marestaing, une coopérative d’art contemporain basée à Toulouse, a été décerné à l’artiste jamaïcaine Sonia Barrett pour son œuvre «Map-lective».
E. Massiga FAYE